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Le destin étrange de Doan Van Toai, auteur du Goulag vietnamien

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L’ancien étudiant contestataire Doan Van Toai qui a fait connaître à l’Occident le système carcéral du Viêt-Nam communiste est décédé en novembre dernier aux États-Unis. En 1979, réfugié politique en France, Toai faisait publier chez Robert Laffont, Le goulag vietnamien, un témoignage détaillé de son expérience carcérale avant et après la chute de Saigon1. Alors encore portés par le « mythe Viêt-Nam », les intellectuels français et le grand public découvraient l’importance du système pénitentiaire vietnamien dans le fonctionnement politique du régime et son étendue. Ce témoignage trouva une forte résonance avec ceux des dissidents soviétiques (en particulier Soljenitsyne, Boukovski et Ginsburg)2 et le travail de Michel Foucault sur l’histoire et la logique de l’emprisonnement en France3.

Doan Van Toai naquit à Vinh Long dans le delta du Mékong en 1945. Dirigeant étudiant et activiste contre la guerre du Viêt-Nam avant 1975, Toai fut emprisonné à deux reprises par le régime saigonnais de Nguyên Van Thiêu4. En juin 1975, il fut de nouveau incarcéré sans procès et maintenu en détention pendant deux ans par le nouveau régime communiste. Libéré en 1977, il put rejoindre une partie de sa famille déjà en France, son épouse ayant la nationalité française. Alors que le régime communiste comptait sur lui pour témoigner positivement sur l’évolution du pays5, il prit une position totalement opposée en dénonçant les violations des droits de l’homme.

Le 30 mai 1978, lors d’une conférence de presse, il publia une « Déclaration des droits de l’homme au Viêt-Nam » et milita aux côtés d’Amnesty International pour dénoncer le système pénitentiaire de la RSVN et la politique de « rééducation politique ». Il poursuivit une intense campagne d’information pour dénoncer « les crimes de paix » de Hanoi et participa à des conférences-débats organisés dans les universités américaines ou suisses6. Il rallia à sa cause la célèbre chanteuse américaine Joan Baez, connue pour sa position contre la guerre pendant le conflit vietnamien, et obtint son soutien des prisonniers politiques vietnamiens. En mai 1979, une « lettre ouverte à la République socialiste du Viêt-Nam » de Joan Baez fut éditée par la presse américaine offrant à cette question une grande visibilité7.

« Aux détenus politiques de tous les régimes au Viêt-Nam. A la mémoire de ma mère et à toutes les mères vietnamiennes mortes dans l’attente d’un retour impossible ». (la double dédicace de Toai dans Le goulag vietnamien).

Malgré cet engagement clair, Doan Van Toai ne parvint pas à convaincre la communauté vietnamienne exilée aux États-Unis. Majoritairement anti-communiste, elle se méfia de cet étudiant ancien activiste contre le régime nationaliste de Saigon. D’un côté, on le soupçonna d’être à solde de la CIA et de l’autre de réseaux pro-chinois anti-vietnamiens dans la lignée des dissidents Hoang Van Hoan et Truong Nhu Tang8. Si la communauté vietnamienne était méfiante, Toai fut adopté par les Occidentaux autant en Europe qu’aux États-Unis. Il fit entendre sa petite voix indépendante dans la presse américaine9… et révéla au monde l’étendue du système concentrationnaire vietnamien :

« Jamais, aux pires moments des dictatures de Diem et de Thieu, il n’y eut autant de prisons de de prisonniers au Sud Viêt-Nam »10.

Il estimait la population des prisons à 70.000 personnes rien que pour Hô Chi Minh-Ville à la fin de 197711, « une ville dans la ville » et un minimum de 400.000 prisonniers pour l’ensemble du pays12. Dans un texte intitulé « Testament des prisonniers patriotes du Viêt-Nam » signé par 48 prisonniers dont des intellectuels renommés, le chiffre de 800.000 prisonniers était même avancé13. En France, Toai reçut le soutien du Comité Viêt-Nam pour la Défense des Droits de l’Homme mené par Vo Van Ai, éditeur de la revue Quê Me [Terre natale]14. Aux États-Unis, Doan Van Toai et Nguyên Huu Hiêu fondèrent le Comité de lutte pour les prisonniers politiques du Viêt-Nam (« Ủy ban Tranh đấu cho Tù nhân Chính trị tại Việt Nam ») et éditèrent de façon anonyme le recueil de poésie de Nguyên Chi Thiên sur sa longue expérience carcérale.

Outre Le goulag vietnamien, rédigé en France avec Michel Voirol, Doan Van Toai publia en anglais avec David Chanoff deux autres ouvrages sur la guerre : Portrait of the Enemy (Tauris, 1987), une histoire orale riche de multiples expériences pour comprendre l’engagement et la désillusion du côté de la RDVN ou du Viêt-Công et Vietnam : a portrait of its people at war (Tauris, 1996), la guerre de destruction vue du côté vietnamien, sur la piste Hô Chi Minh et sous les bombardements américains. A travers ces deux textes, Toai et Chanoff ramenaient la guerre à hauteur d’hommes et montraient les possibles connexions entre les différentes trajectoires biographiques des acteurs.

A la fin des années 1980 et au début des années 1990, Toai milita en faveur de la démocratie en fondant à Washington en 1991 un Institut dédié à cet objectif (« Viện Vận động Dân chủ cho Việt Nam »). Il s’activa auprès des décideurs américains pour renouer des relations politiques et économiques avec Hanoi dans le but de faire émerger un changement politique. Ces prises de position politique contre la résistance armée anticommuniste du Front dirigé par le Vice-amiral Hoang Co Minh lui attirèrent des inimitiés certaines de la part d’exilés. Au mois d’août 1989, il survécut à une tentative d’assassinat à Fresno en Californie près de son domicile qui le marqua profondément15. Jugeant qu’il n’était plus en sécurité aux États-Unis, il repartit un temps au Viêt-Nam mais ne put se satisfaire de l’évolution de son pays. En novembre 2017, quarante ans après sa libération et une décennie tumultueuse au service de la cause des droits de l’homme et de la démocratie (1979-1989), il devait mourir en Californie dans un relatif oubli, emportant avec lui ses convictions et ses rêves de réconciliateur.

FG

MàJ 07/12/2017

Image « à la une » : portrait de Doan Van Toai © Kendrick Brinson pour ProPublica.

Notes

  1. Les neuf premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à son enfance et son engagement politique avant 1975, les neuf chapitres suivants sont consacrés à son expérience concentrationnaire sous le régime communiste
  2. Cf. en particulier Alexandre Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch (Julliard, 1963) et L’archipel du goulag (Fayard, 1973) ; Vladimir Boukoski, Une nouvelle maladie mentale en URSS : l’opposition (Seuil, 1971) ; Leonid Pliouchtch, Dans le carnaval de l’histoire. Mémoires (Seuil, 1977)
  3. Surveiller et punir, Gallimard, 1975
  4. Pendant la période de la Seconde République du Viêt-Nam, 1967-1975, Toai fut Vice-président de l’Association des étudiants de Saigon (1969-1970), puis proche du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire. Cf. Le goulag vietnamien, p. 23 
  5. Sa libération a-t-elle été négociée ? Selon Toai, il aurait été l’objet d’une méprise car le nouveau régime l’aurait confondu avec Ngô Vuong Toai, le chef d’une petite organisation étudiante anticommuniste. Cf. Le goulag vietnamien, p. 22-23 et note 1 p. 23
  6. Voir le texte de dos de couverture de Le goulag vietnamien
  7. Voir AP, « Joan Baez Starts Protest On Repression by Hanoi« , New York Times, 30/05/1979 ; Open letter to the Socialist Republic of Vietnam
  8. Cf. Truong Nhu Tang, Mémoires d’un Vietcong (Flammarion, 1985)
  9. Lire sa tribune « A Lament for Vietnam » publiée dans le New York Times le 29 mars 1981. Lire la traduction vietnamienne sur Mémoires d’Indochine
  10. Le goulag vietnamien, p. 291
  11. ibid.
  12. Le goulag vietnamien, p. 292
  13. id., p. 331
  14. L’ouvrage de Toai et sa personne firent l’objet d’une longue critique virulente d’Alain Ruscio, alors d’enseignant d’histoire et militant communiste engagé dans la défense du socialisme vietnamien. Cf. Alain Ruscio, Vivre au Viêt-Nam, Paris, Éditions sociales, 1981, voir chapitre 3, en particulier p. 136-143. A la même époque Amnesty International publiait un premier Rapport de mission en RSVN – Réponses et commentaires, Paris, EFAI/AIP, juin 1981. Selon les chiffres officiels de la RSVN de décembre 1979 environ un million de Vietnamiens avaient fait un « bref stage de rééducation » et 40.000 avaient été « retenues pour une rééducation à long terme », cf. Rapport de mission en RSVN, p. 38
  15. Il témoigna de cet acte terroriste dans le documentaire controversé « Terror in Little Saigon ». Cf. Terror in Little Saigon: A second exile

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